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lundi 15 octobre 2018

FIEF - DAVID LOPEZ

Et David Lopez arriva. Ce nouvel auteur a obtenu le Prix du Livre Inter 2018 pour son premier roman intitulé "Fief". Forcément, une telle entrée en matière au sein du monde littéraire interpelle toujours et attise la curiosité. C'est donc avec un certain engouement que nous ouvrons ce livre, dans l'espoir de découvrir un excellent texte.

Et la promesse est là. Jonas, personnage principal, nous raconte son histoire. C'est un jeune d'une vingtaine d'année, de la classe moyenne, qui s'exprime avec ses codes et son argot.

"J'ai un vingt balles dans le slibar, entre le pénis et les couilles. Il est bien calé. Il parait que maintenant les flics viennent fouiller là."

Le récit se situe dans un lieu peu défini, entre ville et campagne, collant parfaitement aux personnages qui socialement se trouvent à la frontière de deux mondes, perdus, le cul entre deux chaises.

"...trop de bitume, pour qu'on soit de vrais campagnards, mais aussi trop de verdures pour qu'on soit de vraies cailleras."

"...ça fait qu'on s'est jamais vraiment identifiés aux mecs des pavillons, alors que comme eux on venait des lotissements."

"Pour ceux des Tours en particulier on se la racontait,... on copiait leurs attitudes..."


Jonas vit au jour le jour et sans grande ambition. Il pratique la boxe, mais ne s'implique pas suffisamment. Il fréquente une fille, mais reste distant. Il se sent à l'aise uniquement avec ses amis d'enfance avec lesquels il fume, boit et rigole. En vrai, il fuit la réalité d'un monde, et ne cesse de s'enfermer dans une sorte de cocon illusoire.

"Untel embraie, et avec un petit rictus il dit t'sais quoi Jonas, dans la vie t'es comme dans le ring, tu fais que d'esquiver."

"Fumer n'était plus l'occupation, on fumait en se demandant ce qu'on allait bien pouvoir foutre. On était plus dehors. On s'est enfermés."

Ce roman traduit de nombreux aspects de la vie comme le passage à l'âge adulte où les joies de l'enfance s'éclipsent. Cette transition déstabilise et inquiète Jonas. Et puis il y a l'attitude des aînés, des adultes, comme son père, peu présent, qui semble être abîmé par son vécu et qui ne lui transmet aucun leitmotiv, bien au contraire.

"Mon père, jusqu'ici silencieux, et manifestement peu concerné, finit par décrocher la mâchoire..."

"Il m'encourage, il dit c'est bien ça Jonas, et mon père regarde ailleurs. Il a basculé sa tête en arrière pour attraper un rayon de soleil..."

On assiste à un quotidien dépourvu de perspective et plein de fatalisme. C'est une image de la société où l'expectative dépend de son appartenance sociale, de son lieu de vie, où l'espoir de réussite se cantonne à quelques exceptions.

"Il est dans un autre délire Lahuiss maintenant, même si il a gardé plein de trucs d'ici. Ça reste l'un des nôtres. Parfois on se fout un peu de sa gueule en lui disant qu'il s'embourgeoise."

"Tu fais quoi en ce moment, il demande. Je soupire et je dis bah écoute pas grand chose t'as vu, j'suis là, j'attends."

 "... je lui dis vas-y c'est bon, je les ai toutes faites les usines ici, ça m'a saoulé."

Les premières pages peuvent laisser penser que nous lisons un roman empli de stéréotypes. Les non initiés au vocabulaire de la banlieue auront peut-être besoin d'un temps adaptation. Mais très vite cette défiance se dissipe et on se laisse aller au gré des pages.
C'est une lecture contemplative, nous observons et écoutons les personnages sans entrer dans leur intimité. Aussi, certains diront que l'histoire sonne creux, d'autres mettront en avant l'écriture.
Et moi je vous dirai qu'il se lit aisément.
YB. 


Quelque part entre la banlieue et la campagne, là où leurs parents ont eux-mêmes grandi, Jonas et ses amis tuent le temps. Ils fument, ils jouent aux cartes, ils font pousser de l'herbe dans le jardin, et quand ils sortent, c'est pour constater ce qui les éloigne des autres. Dans cet univers à cheval entre deux mondes, où tout semble voué à la répétition du même, leur fief, c'est le langage, son usage et son accès, qu'il soit porté par Lahuiss quand il interprète le Candide de Voltaire et explique aux autres comment parler aux filles pour les séduire, par Poto quand il rappe ou invective ses amis, par Ixe et ses sublimes fautes d'orthographe. Ce qui est en jeu, c'est la montée progressive d'une poésie de l'existence dans un monde sans horizon. Au fil de ce roman écrit au cordeau, une gravité se dégage, une beauté qu'on extirpe du tragique ordinaire, à travers une voix neuve, celle de l'auteur de Fief.

Editions du Seuil, août 2017.