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lundi 22 octobre 2018

FRÈRE D’ÂME - DAVID DIOP

Lorsque David Diop nous présente son roman "Frère d'âme", il nous explique avoir puisé son inspiration dans la lecture de lettres de poilus, qui l'ont profondément touché par leur violence. Il nous indique aussi qu'il n'a pas trouvé de correspondance écrite par des tirailleurs sénégalais.

De ce constat il a voulu raconter, ou plutôt il a imaginé, la vie d'un de ces jeunes Africains au cœur des tranchées. C'est à travers le personnage d'Alfa Ndiaye qu'il nous immerge dès le début dans l'atrocité de cette guerre.

"... Mademba Diop, mon plus que frère a mis trop de temps à mourir. Ça a été très, très difficile, ça n'en finissait pas, du matin aux aurores, au soir, les tripes à l'air, le dedans dehors..."

Alfa Ndiaye et Mademba Diop étaient du même village, liés d'une amitié fraternelle. La mort de Mademba laisse Alfa orphelin et se sentant coupable de ne pas avoir eu le courage d’exaucer les derniers vœux de son "plus que frère"

"... je ne n'ai pas su couper le fil barbelé de ses souffrances. Je n'ai pas été humain avec Mademba..."

"... j'ai laissé Mademba pleuré comme un enfant, la troisième fois qu'il me suppliait de l'achever, faisant sous lui, la main droite tâtonnant la terre pour rassembler ses boyaux éparpillés..."

Dès lors commence pour Alfa une guerre dans la guerre. Habité d'une vengeance, il sort du ventre de la terre le fusil dans une main, le coupe-coupe dans l'autre, hurle comme un sauvage, se bat, et revient dans la tranchée longtemps, très longtemps, après ses camarades.

"Je rapportais du butin de guerre sauvage. Je rapportais toujours à la fin de la bataille, dans la nuit noire ou la nuit baignée de lune et de sang, un fusil ennemi avec la main qui allait avec."

En réalité, Alfa perd la raison. Au début, ses trophées de guerre font rire bon nombre de ses camarades, puis ils les inquiètent. Si bien qu'Alfa terminera sa guerre à l'arrière, interné, car devenu fou de la folie guerrière. A ce moment il nous précipite dans son intimité, sa vie d'avant, amplifiant ainsi la charge émotionnelle du roman.

Via ce récit, David Diop dénonce les conditions de cette insupportable guerre. Il nous transmet son ressenti suite à sa lecture des lettres, et nous livre une copie intimiste où de sa petite échelle il comble un manque criant de reconnaissance envers les tirailleurs sénégalais.

Je n'ai pas été fasciné par le style du texte, mais cette lecture est très importante pour la mémoire, car cette Grande Guerre est un miroir de l'horreur et de la pire sauvagerie. Et cent ans après, l'effroi est toujours là.
YB.


Un matin de la Grande Guerre, le capitaine Armand siffle l'attaque contre l'ennemi allemand. Les soldats s'élancent. Dans leurs rangs, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, deux tirailleurs sénégalais parmi tous ceux qui se battent alors sous le drapeau français. Quelques mètres après avoir jailli de la tranchée, Mademba tombe, blessé à mort, sous les yeux d'Alfa, son ami d'enfance, son plus que frère. Alfa se retrouve seul dans la folie du grand massacre, sa raison s'enfuit. Lui, le paysan d'Afrique, va distribuer la mort sur cette terre sans nom. Détaché de tout, y compris de lui-même, il répand sa propre violence, sème l'effroi. Au point d'effrayer ses camarades. Son évacuation à l'Arrière est le prélude à une remémoration de son passé en Afrique, tout un monde à la fois perdu et ressuscité dont la convocation fait figure d'ultime et splendide résistance à la première boucherie de l'ère moderne.

Né à Paris en 1966, David Diop a grandi au Sénégal. Il est actuellement maître de conférences à l'université de Pau.

Editions du Seuil, août 2018.